SOCIÉTÉ

Renouer avec son passé grâce aux retrouvailles

C’est rempli d’appréhension et stressé que Maxime Collins s’est rendu à ses retrouvailles de 10 ans du secondaire, il y a quelques années.

« J’ai toujours été respecté à mon école secondaire, raconte-t-il. J’ai par contre eu une aventure secrète, intime et sexuelle, avec un des garçons les plus populaires de l’école. Le cliché : beau, grand, musclé, joueur de basket et très populaire auprès des filles. Nous avons réussi à préserver notre histoire des vilaines langues jusqu’à la toute fin, mais j’ai publié un premier roman qui portait sur cette relation de jeunesse (Pile ou Face). Même s’il avait acquiescé à la publication du roman, je ne pense pas qu’il s’attendait à autant de ragots et d’homophobie par la suite. Je me suis toujours senti un peu coupable. »

« Quand on est sollicité pour ce genre d’activité, on est toujours partagé, explique Dania Ramirez, psychologue à l’Université de Montréal et en pratique privée. Certains sont excités à l’idée de retrouver d’anciennes connaissances, mais d’autres vivent ça avec beaucoup d’anxiété et de réserves. »

« Tout dépend de la façon dont on a vécu notre secondaire. Si c’est associé à une belle période de notre vie, malgré les petits orages de l’adolescence, on aura le goût d’y revenir. Si on a vécu des choses difficiles, on préféra s’abstenir. »

— Dania Ramirez, psychologue

Quand Nathalie Parent, 43 ans, a décidé d’organiser, cette année, des retrouvailles 25 ans après avoir terminé le secondaire, elle s’attendait à devoir relever plusieurs défis. Or jamais elle n’aurait pensé avoir à gérer d’anciens conflits. « Quelques personnes ont accepté de participer à l’événement, raconte-t-elle, mais m’ont demandé de ne pas révéler leur adresse courriel. Elles s’étaient fait intimider durant leur secondaire et avaient réussi à se cacher depuis toutes ces années. J’ai respecté leurs demandes et heureusement tout s’est bien déroulé durant la soirée. »

Selon la psychologue, tout le monde a ri de quelqu’un ou a fait rire de soi un jour ou l’autre au cours de son adolescence. Cependant, si l’on a vécu de l’intimidation et que les répercussions se sont fait sentir au cours de sa vie d’adulte, vaut mieux consulter un thérapeute, suggère Dania Ramirez. « C’est une bonne idée de faire une thérapie pour vérifier : est-ce que je suis passé au travers ? Est-ce que je suis capable de m’exposer aux anciens camarades de classe et à l’intimidateur ? Il faut être sûr de bien saisir les enjeux. Les retrouvailles pourraient avoir des impacts bons ou mauvais par la suite. »

POURQUOI Y ALLER ? 

Chacun a ses raisons de vouloir participer à des retrouvailles. Maxime Collins, aujourd’hui âgé de 31 ans, souhaitait revoir sa grande passion amoureuse et était prêt affronter le passé, quitte à répondre aux commentaires désobligeants. À sa grande surprise, ses anciens camarades de classe l’ont accueilli chaleureusement, mais son ex ne s’y est pas présenté. « J’étais très déçu. Je pense que j’aurais voulu le voir pour m’excuser. Mais en même temps, peut-être que j’aurais été moins satisfait de ma soirée, s’il m’avait ignoré, par exemple. Il n’a pas osé revenir dans le passé de peur de me rencontrer, ou de rencontrer le regard et le jugement des autres. Mais les gens étaient beaucoup plus intéressés par mon travail des dernières années que par ces vieilles histoires qu’ils avaient probablement oubliées. »

Norbert Crispo-Simard, 34 ans, avait pour sa part envie de revoir deux filles. Une de qui il était éperdument amoureux et une autre avec qui il avait refusé de sortir. « Pourquoi je lui ai dit non !, s’exclame-t-il. J’ai eu quelques regrets en voyant ce qu’elle était devenue : designer de mode à New York ! Imagine ! Elle côtoie Naomie Campbell, Tyra Banks, Robert De Niro. Aujourd’hui, évidemment, elle m’ignore. Par contre, j’ai réalisé mon rêve en retrouvant l’autre fille qui hantait mes pensées après 20 ans. J’ai découvert qu’elle aussi avait le béguin pour moi et on s’est embrassé. Je la revois de temps en temps. »

« J’avais envie de revivre ces années-là, confie Hélène Lescelleur, 42 ans, qui a organisé cette année des retrouvailles de la promotion 1990. On a d’ailleurs fait jouer de la musique de cette époque. Je regarde mon plus vieux qui va graduer cette année et je me dis qu’à son âge je n’étais pas aussi sage ! »

« J’avais envie de rire avec mes anciens amis des moments passés, de nos bons et mauvais coups. Ça me rend vraiment heureuse de voir comment ils ont avancé dans la vie. Peut-être parce que je suis travailleuse sociale. »

— Hélène Lescelleur

« J’avais envie que les gens se souviennent des retrouvailles comme de leur bal, encore dans plusieurs années, renchérit Nathalie Parent. Que ce soit leur petit moment de bonheur en se remémorant des souvenirs. Je suis une nostalgique et je me dis que je ne dois pas être la seule. En voyant tous ces sourires durant la soirée, je crois que c’est mission accomplie. »

LE POIDS DES ANNÉES

Le passage du temps n’a pas le même effet sur tout le monde. Et certains ont de la difficulté à assumer les cheveux qui désertent le crâne ou le ventre qui prend de l’expansion. « Une fois adulte, on peut avoir énormément changé psychologiquement et physiquement, explique la psychologue. Des gens se disent : “j’ai vieilli, je n’ai pas envie qu’on me voie sous ce jour”. D’autres se posent la question : “est-ce que je suis à la hauteur de ce qu’on attendait de moi ?” Finalement, il y a ceux qui ne se sentent pas bien actuellement dans leur vie personnelle ou professionnelle et qui n’ont tout simplement pas envie de participer à des activités sociales. »

Sophie Vallerand, 47 ans, est une habituée des retrouvailles. Elle en a fait deux du secondaire et deux de l’université. Adolescente, elle était loin d’être la plus populaire de l’école. Cependant, le temps a joué en sa faveur. « J’étais un vrai pichou !, s’exclame-t-elle en riant. Je ne faisais pas du tout tourner les têtes. Ça m’a remonté le moral de voir que j’avais bien vieilli. D’ailleurs, j’ai remarqué que les femmes vieillissent beaucoup mieux que les hommes. Elles font en général plus attention à elles. »

AMITIÉS PERDUES ET RETROUVÉES

Le temps qui passe nous a séparés aussi de ceux avec qui on adorait embêter les enseignants. La bande du théâtre ou du sport… Parce qu’on n’a fait finalement ni théâtre ni sport professionnel… Peut-on espérer renouer avec ceux qu’on a aimés ? Et créer de nouvelles amitiés ? Sophie Vallerand n’est pas convaincue. « Ce sont des soirées agréables, mais vite oubliées. J’ai constaté que les affinités ne changent pas en vieillissant. Au bout du compte, ceux qui te tapaient autrefois sur les nerfs finissent par te retaper sur les nerfs, rigole-t-elle. Mais j’avoue que je revois une copine d’université. »

Maxime Collins voit la situation d’un autre œil. « Sans barrière ni effet de gang, on se rend compte qu’on a souvent passé à côté de gens extraordinaires, simplement parce qu’ils n’étaient pas intégrés dans notre groupe quotidien. J’ai donc vraiment noué de nouvelles amitiés avec certaines connaissances, et encore aujourd’hui, je vais parfois souper avec l’une d’entre elles. »

De son côté, Nathalie Parent a eu le coup de cœur pour une fille vers qui elle ne serait jamais allée durant son secondaire. « À l’époque, on n’avait pas les mêmes amies, elle était extravertie, moi tranquille. Elle m’a proposé son aide dans l’organisation et on s’est découvert plusieurs points en commun. On s’entend à merveille. On fait maintenant des activés ensemble. » Facebook a d’ailleurs grandement aidé dans leurs recherches d’anciens élèves. Ils devaient en retracer pas moins de 653. 

Outre ce coup de pouce indéniable, plusieurs croient que Facebook se limite à zapper d’une vie à l’autre sans réellement reprendre un vrai contact avec les anciens copains. « Facebook a un côté voyeur, croit Hélène Lescelleur. Oui, on voit des photos des gens et peut lire ce qu’ils sont devenus, mais moi je voulais revoir les gens en personne, leur parler de vive voix. Je voulais des contacts humains. »

« Facebook “vend” beaucoup d’éléments sur la vie des uns et des autres, mais Facebook ne fait pas tout le travail, soutient Maxime Collins, et ceux qui s’intéressent vraiment à nous doivent tout de même explorer notre profil avec attention. Même si Facebook est très populaire, ce n’est pas tous ceux qui étaient présents à cette soirée qui étaient dans ma liste d’amis. Plusieurs se sont d’ailleurs ajoutés après cette soirée de retrouvailles ! »

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